L’Estime de Soi : une exploration approfondie

Juil 23, 2024Article, Comité de Recherche

L’estime de soi est un concept fondamental pour la compréhension du développement personnel et de l’intelligence émotionnelle. Cet article se propose d’explorer les mécanismes de construction, de déconstruction et de stabilisation de l’estime de soi, en se basant sur les discussions et les analyses des membres du comité de recherche lors de leur dernière session de travail. En effet, la première dimension du modèle de QE de Bar-On[1], à savoir la perception de soi, a été retenue comme sujet d’étude avec un accent particulier mis sur l’estime de soi. Plusieurs articles préparatoires ont été lus en amont pour enrichir la réflexion[2].

Cet article vise à fournir une compréhension approfondie des mécanismes sous-jacents à une estime de soi saine et stable.

 

Qu’est-ce que l’Estime de Soi ?

L’estime de soi est un concept complexe, à l’instar des émotions[3], qu’il ne s’agit pas simplement de définir de manière normative, mais plutôt de comprendre dans toute sa profondeur. Selon Christopher Mruk[4] par exemple, l’estime de soi se compose de deux éléments principaux : la valeur personnelle que nous pouvons associer à la notion d’amour-propre et la confiance en ses compétences, également connue sous le terme de confiance en soi. Pour illustrer cette idée nous pouvons imaginer un arbre dont le tronc symboliserait l’estime de soi, soutenu par les racines de l’amour inconditionnel, ancrées dans le sol de l’acceptation de soi, tandis que les branches représenteraient la confiance en soi, les réalisations, les compétences, les succès et les échecs. Cette métaphore montre clairement que l’amour-propre, la confiance en soi, la réalisation de soi et l’estime de soi sont intimement liés et influencent notre perception de nous-mêmes.

Christophe André[5] quant à lui décrit l’estime de soi comme une composante fondamentale de la personnalité, située à l’intersection de trois dimensions : comportementale, cognitive et émotionnelle. Il explique que l’estime de soi influence nos actions, dépend de notre propre perception et est fortement liée à notre état émotionnel. Une bonne estime de soi facilite l’engagement dans les actions, améliore l’auto-évaluation et stabilise les émotions. Il souligne que l’estime de soi se manifeste à travers plusieurs dimensions dès l’enfance, telles que l’apparence physique, la réussite scolaire, les compétences athlétiques, la conformité comportementale et la popularité. Ces dimensions évoluent à l’âge adulte, remplaçant par exemple la réussite scolaire par le statut social.

 

La Construction de l’Estime de Soi

L’estime de soi est naturellement sujette à des fluctuations en fonction des contextes. Cependant, une estime de soi considérée comme “forte” revêt un caractère durable, solide et stable.

Le rôle des parents dans cette construction est crucial. Leur amour constant et inébranlable peut prévenir une dépendance excessive au regard des autres ou, au contraire, une indifférence totale à ce regard. Sans ce soutien fondamental, une personne peut chercher désespérément la reconnaissance extérieure ou s’isoler pour éviter ce regard. C’est pourquoi une estime de soi stable ne repose pas uniquement sur l’approbation des autres, bien qu’elle en tienne compte. Il s’agit d’un équilibre avec l’indépendance émotionnelle[6], permettant de considérer les avis des autres sans en être trop affecté.

Il est essentiel de comprendre que l’estime de soi se forge en interaction avec les normes sociales et évolue selon les expériences vécues. Elle remplit deux fonctions principales : la protection et le développement de soi. Une faible estime de soi se concentre souvent sur la protection, tandis qu’une estime de soi suffisante et stable favorise l’expérimentation, la curiosité et la prise de risques. Par exemple, un entrepreneur qui, malgré plusieurs échecs, continue de lancer de nouvelles entreprises, démontre une capacité à transformer chaque échec en opportunité d’apprentissage grâce à une estime de soi élevée, persévérant ainsi jusqu’à la réussite.

 

Réalisation de Soi et Estime de Soi

Chaque individu possède des forces et des limites, tant sur le plan opérationnel qu’humain, ainsi qu’une variété de compétences intellectuelles, émotionnelles et relationnelles. Chaque personne dispose d’une personnalité unique, de valeurs et de compétences en matière de savoir-faire et de savoir-être. La Réalisation de soi[7] est ainsi intimement liée à l’estime de soi, mais ne peut à elle seule constituer un fondement suffisamment solide. Toutefois, la réalisation de soi et l’épanouissement personnel offrent des éléments concrets permettant de renforcer l’estime de soi et joue ainsi un rôle crucial dans son développement.

Considérons par exemple un cadre supérieur doté de grandes compétences professionnelles et d’un succès apparent dans sa carrière, mais qui souffre cependant d’un faible amour-propre. Ce déséquilibre peut le pousser à adopter des comportements perfectionnistes excessifs pour tenter de combler ce déficit, et peut le conduire à l’épuisement. À l’inverse, un artiste débutant qui se sent compétent et confiant dans ses compétences techniques et qui est soutenu par son entourage tout en étant conscient de ses limites développera plus facilement une estime de soi positive, même s’il n’a pas encore rencontré de succès significatif.

Ainsi, une estime de soi forte et stable ne se limite pas à l’accomplissement externe, mais englobe également la reconnaissance et l’acceptation de ses propres compétences et limites. Ce processus de réalisation de soi, lorsqu’il est soutenu par une base solide d’amour-propre, favorise le développement d’une estime de soi positive et résiliente.

 

Les compétences de l’intelligence émotionnelle liées à l’Estime de Soi

Le regard des autres peut influencer de manière significative notre estime de nous-mêmes, tant positivement que négativement. Que ce soit par des retours directs ou notre interprétation des perceptions d’autrui, l’impact reste similaire. Ce phénomène met en lumière l’importance ou la dépendance que nous pouvons ressentir face à l’approbation, l’amour et la reconnaissance des autres. Un déficit en amour-propre peut conduire soit à un besoin accru de validation externe pour définir notre valeur, soit à un détachement excessif pour éviter d’être affecté et se conforter dans sa propre perception (qu’elle soit positive ou négative). Dans les deux cas, il s’agit d’une réaction ou d’une protection vis-à-vis des autres.

L’indépendance est donc une compétence essentielle de l’intelligence émotionnelle pour maintenir une estime de soi stable et forte. Cette compétence permet de trouver un équilibre entre le besoin de validation externe et l’autonomie personnelle, nous aidant ainsi à évaluer et à décider de l’importance à accorder aux opinions des autres. Elle permet d’appréhender les critiques et les échecs non pas comme des menaces, mais comme des opportunités de croissance.

Prenons l’exemple d’un étudiant qui perçoit les critiques de ses professeurs comme constructives : il les utilise pour améliorer ses performances académiques et renforce ainsi son estime de soi. À l’inverse, un employé qui reçoit des critiques perçues comme négatives et manque de reconnaissance verra son estime de soi affectée. Ces exemples illustrent comment l’équilibre entre l’influence des retours externes et l’indépendance personnelle est essentiel pour une estime de soi saine.

La compétence Contrôle des impulsions[8] est également étroitement liée à l’estime de soi. Le célèbre test du marshmallow[9] montre que les enfants capables de retarder leur gratification développent une estime de soi plus stable et réussissent mieux à long terme. La gestion de la frustration et l’inhibition favoriseraient donc la construction d’une estime de soi plus stable et durable.

 

Renforcer l’Estime de Soi

Il n’existe pas de stratégie miracle pour renforcer l’estime de soi, mais la bonne nouvelle est qu’elle peut être développée. Contrairement à ce que beaucoup pourraient penser, même si l’estime de soi a été malmenée depuis l’enfance, elle peut être renforcée en identifiant et en travaillant sur des aspects spécifiques. Par exemple, cultiver l’amour de soi inconditionnel, notamment par l’autocompassion, ou développer l’indépendance comme mentionné précédemment, permet de se détacher du regard des autres.

Le concept de “growth mindset” de Carol Dweck[10] nous semble particulièrement pertinent : ceux qui croient en leur capacité de progresser réussissent mieux que ceux qui pensent que leurs capacités sont figées. Ce principe rejoint le concept d’auto-efficacité de Bandura[11] qui stipule que la confiance en soi varie selon les contextes. Une personne peut exceller dans un domaine spécifique tout en se sentant illégitime dans un rôle plus global, révélant ainsi une faible estime de soi globale malgré des compétences avérées.

Une autre compétence importante à développer au profit de l’estime de soi est l’optimisme[12]. Christophe André souligne en effet que l’optimisme est directement lié à l’estime de soi : les personnes optimistes croient en leurs ressources et utilisent la confiance en soi pour surmonter les échecs, renforçant ainsi leur estime de soi. Ainsi, l’optimisme répond ici à la capacité à optimiser toute situation, bonne ou moins bonne.  Pour ceux qui ont tendance à ne voir que le négatif et à se sentir inadéquats, il peut être utile de noter chaque jour trois choses bien faites ou appréciées chez soi, même les plus petites. Cette pratique régulière peut transformer progressivement la perception de soi et renforcer l’estime de soi.

A ce titre, le livre de Christophe André, “Imparfaits, libres et heureux”, est une excellente ressource pour travailler sur l’estime de soi, notamment en renforçant l’amour de soi inconditionnel. Citons aussi l’ouvrage de Charles Pépin « La confiance en soi, une philosophie » édifiante à plus d’un titre.

Le travail thérapeutique visant à renarcissiser le moi en travaillant sur l’affirmation de soi[13] peut aussi aider la personne à se positionner et à définir ses limites selon ses propres désirs plutôt que conforme à l’image renvoyée par les autres.

Des exercices pratiques, tels que ceux proposés par Kristin Neff[14], peuvent aussi aider à renforcer l’estime de soi inconditionnelle. Par exemple, se concentrer sur ses réussites et ses talents ou accepter progressivement son corps à travers de petites actions quotidiennes peut être très efficace. L’autocompassion est particulièrement bénéfique pour ceux qui éprouvent une grande empathie envers les autres mais ont du mal à l’appliquer à eux-mêmes. Apprendre à se traiter avec bienveillance et tolérance, comme on le ferait avec les autres, peut considérablement améliorer l’amour de soi.

L’amélioration de l’estime de soi passe donc par un travail sur l’amour inconditionnel de soi, en plus de la performance. Cultiver une estime de soi indépendamment de (voire sans) succès extérieurs repose sur une acceptation profonde de soi-même. Sophie, membre du comité et ancienne athlète de haut niveau, souligne d’ailleurs que dans le domaine sportif, l’estime de soi est souvent fragile. La préparation mentale est cruciale pour renforcer la confiance en soi des athlètes. Guy Drut[15] en déclarant qu’il était meilleur en compétition qu’à l’entraînement, illustre ainsi l’importance de l’état d’esprit dans la performance sportive. Le sportif qui renforce sa résilience face aux critiques et à l’échec peut ainsi développer une estime de soi plus stable et mieux performer sous pression.

La conscience et l’acceptation de ses forces et de ses limites, ainsi que la volonté de se développer et de se respecter, permettent de s’aimer davantage et de se savoir aimable. En somme, l’amélioration de l’estime de soi passe par une acceptation inconditionnelle de soi-même et une combinaison de soutiens externes et internes. C’est un processus continu et permanent qui nécessite une réflexion approfondie, des ajustements et une pratique régulière pour maintenir une estime de soi saine et résiliente face aux défis de la vie quotidienne.


[1] Le modèle évaluant le Quotient émotionnel du Dr Reuven Bar-On intègre 5 dimensions : la perception de soi, l’expression individuelle, les facultés relationnelles, la prise de décision et la gestion du stress. En savoir plus

[2] L’estime de soi : analyse de concept – Christina Doré

Les racines de l’estime de soi : apports de la théorie de l’attachement – Nicole Guédeney

L’estime de soi – Christophe André

Narcissisme, estime de soi et société. Regard sociologique sur la dépathologisation d’un trouble controversé – Dahlia Namian, Laurie Kirouac

Freud juge de Sigmund. Le narcissisme entre amour-propre et amour de soi – Mark R. Anspach

[3] En effet, le comité s’est penché sur la définition des émotions dans leur premier article : L’élévation de la conscience comme élément central de l’intelligence émotionnelle

[4] Professeur de psychologie à la Bowling Green State University, dans l’Ohio, où il est membre du Firelands College, l’un des collèges de premier cycle de l’université, ainsi que du collège d’études supérieures de l’université. Psychologue clinicien, il est spécialisé dans l’estime de soi, la psychologie humaniste et la psychologie positive.

[5] Christophe André est un psychiatre et psychothérapeute français.

[6] L’indépendance est une des compétences du modèle de Bar-On En savoir plus

[7] La réalisation de soi est une des compétences du modèle de Bar-On En savoir plus

[8] Le contrôle des impulsions est une des compétences du modèle de QE du Dr Bar-On En savoir plus

[9] Le test du marshmallow est une étude sur la gratification différée conduite en 1972 par le psychologue Walter Mischel de l’université Stanford. Un marshmallow est offert à chaque enfant. Si l’enfant résiste à l’envie de manger la guimauve, il en obtient par la suite deux autres en guise de récompense. Les résultats interprétés par les auteurs montrent que plus grande est la maîtrise de soi et la confiance (mesurée par la capacité de gratification différée), plus les chances de réussir sont grandes.

[10] Carol S. Dweck est professeur de psychologie sociale à l’Université Stanford. Ses principaux intérêts de recherche concernent la motivation, la personnalité, et le développement. Elle donne des cours sur le développement social et de la personnalité de même que sur la motivation. Sa principale contribution à la psychologie sociale réside dans les théories implicites de l’intelligence.

[11] Auto-efficacité. Le sentiment d’efficacité personnelle

[12] L’optimisme est une des compétences de l’EQi En savoir plus

[13] L’affirmation de soi est une des compétences du modèle EQI de Bar-On En savoir plus

[14] Kristin Neff a conduit les premières recherches universitaires sur l’autocompassion

[15] Athlète français

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