Ces émotions qui ont mauvaise réputation : L’impatience

Fév 19, 2025Article

« Tu es trop impatiente », « Prends le temps de bien faire les choses »… Ces remarques, je les entends depuis toujours. Et pourtant, je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire en coin en écrivant ces lignes, car, voyez-vous, je l’aime bien, mon impatience.

Nous touchons ici à un sujet intéressant : ces émotions mal-aimées, critiquées, celles à qui l’on colle une mauvaise réputation, dont on entend souvent dire : « Ce n’est pas bien [d’être]… », et qui nous arrive pourtant d’en faire de fidèles compagnes de route. Pourquoi les adoptons-nous au point de les revendiquer, de les chérir, parfois même de les exagérer, jusqu’à ce qu’elles deviennent des traits de caractère assumés ?

Ou pas.

Je suis impatiente.

L’impatience, donc, parlons-en.

L’impatience au quotidien

De manière concrète, et pour bien saisir l’essence de cette émotion, prenons un exemple à portée de mains : à peine ai-je commencé cet article que j’ai déjà hâte de le terminer. Boucler ce sujet pour passer au suivant… La finalité, l’objectif, c’est mon moteur. Le driver “Dépêche-toi” aux commandes ![1]

Il suffit de jeter un œil aux différentes perceptions de l’impatience pour comprendre pourquoi elle traîne une si mauvaise réputation. L’impatience est souvent perçue comme un état émotionnel marqué par une difficulté à attendre avec calme, souvent accompagnée d’agitation ou d’irritation. Elle surgit face à une attente insupportable, une lenteur frustrante, un obstacle perçu comme inutile. Elle est souvent assimilée à un manque de contrôle, une intolérance à la frustration, un défaut à corriger. Synonyme de précipitation, d’agacement, d’exaspération.

Alors oui, je coche toutes les cases. Tout y est. L’impatience vient souvent avec le package complet. Mais la bonne nouvelle c’est que ça se travaille.

Pour ceux qui s’intéressent aux compétences de l’intelligence émotionnelle, on reconnaît en effet que l’impatience s’accompagne souvent d’un contrôle des impulsions peu développé (et ce n’est pas grave !)[2]. Autrement dit, les impatients ont tendance à réagir vite, parfois trop vite. Ils privilégient souvent l’action à la réflexion, le mouvement à l’attente.

Pour preuve, le test du marshmallow, cette célèbre expérience menée par le psychologue Walter Mischel à la fin des années 1960. L’idée était simple : un enfant se retrouvait face à un chamallow et avait le choix entre la manger immédiatement ou patienter 15 minutes pour en recevoir une deuxième.

Les résultats ont suggéré que ceux capables d’attendre avaient plus de chances de réussir dans la vie : meilleurs résultats scolaires, gestion du stress plus efficace, discipline accrue.

Mauvaise nouvelle pour les impatients ? Peut-être. Mais ces conclusions ont depuis été nuancées : une étude plus récente (2018) a montré que le succès futur dépend aussi d’autres facteurs, comme l’environnement familial et le milieu socio-économique.[3]

Ouf, tout n’est donc pas perdu !

Quand les drivers entrent en jeu

Si l’on parle d’impatience, il est essentiel d’évoquer un concept bien connu en analyse transactionnelle : les drivers. Ces messages contraignants, intégrés dès l’enfance qui influencent profondément nos comportements. Et deux d’entre eux, en particulier, peuvent facilement entrer en collision ici :

• “Dépêche-toi” : Ce driver impose une cadence effrénée. Pas de pause, pas d’attente, l’important, c’est d’avancer, d’optimiser chaque seconde, de ne jamais perdre de temps.

• “Sois parfait” : À l’inverse, ce driver exige rigueur et excellence. Avancer, oui, mais sans la moindre erreur, sans approximation, en maîtrisant chaque détail.

Incompatibles, vous dites ? “Dépêche-toi” veut de la vitesse, “Sois parfait” exige de la précision. L’un précipite, l’autre freine.

Pourtant, nous sommes nombreux à jongler avec ces deux injonctions, coincés entre l’urgence d’aller vite et la peur de mal faire.

Et puisque l’intelligence émotionnelle étant avant tout une question d’équilibre, au tour de l’impatience, d’être réhabilitée.

Un moteur plutôt qu’un frein ?

Et si, au lieu d’un défaut, l’impatience était une force ? Une énergie brute qui refuse l’inertie, qui pousse à l’action, qui insuffle le mouvement ?

Et si ce n’était pas l’impatience qui posait problème, mais ce que nous en faisons – et ceci s’applique d’ailleurs à toutes ces émotions qui ont mauvaise réputation.

Loin d’être un simple caprice, l’impatience est peut-être avant tout une tentative de maîtriser le temps. Pas un refus du réel, mais un refus de la passivité. Elle exprime un besoin viscéral d’agir, de créer, de ne pas se laisser enfermer dans l’attente.

Le philosophe Henri Bergson[4] distinguait deux temporalités : celle des horloges, rigide et mesurable, et celle de la perception, élastique et imprévisible. Ne vous ait-il pas arrivé à vous aussi de vivre une minute qui durait une éternité ou une heure qui défilait beaucoup trop vite ?

L’impatience naît précisément de cette tension : une tentative de plier le temps à notre volonté. Nous savons bien que cette maîtrise est une illusion, et pourtant, c’est précisément dans cette illusion que réside une force.

L’histoire ne nous prouve-t-elle pas que l’impatience a souvent été un moteur de transformation ?

Martin Luther King[5] par exemple, et pas des moindres, dénonçait l’attente comme une arme d’oppression : « On nous dit d’attendre. Mais l’attente se transforme en éternité. » Son impatience était une nécessité face à l’injustice. Quant à Rosa Parks, en refusant de céder son siège dans un bus ségrégué, elle n’a pas attendu que le changement vienne à elle : elle l’a provoqué. Son acte, impulsif et déterminé, a marqué un tournant historique.

L’impatience ne nous permet peut-être pas de maîtriser le temps, mais elle nous empêche de nous y soumettre. Elle est cette pulsion qui refuse l’immobilisme, qui conteste l’ordre établi, qui ose forcer le destin. Elle est le moteur des révolutions, des innovations et des prises de conscience.

Finalement, peut-être que ceux qui bousculent le monde sont simplement ceux qui ne supportent pas d’attendre qu’il change tout seul.

Alors réhabilitons l’impatience, puisqu’elle permet (entre autres) de changer le monde et accueillons ses qualités intrinsèques pour en réduire les dommages collatéraux.

Les qualités derrière l’impatience

– L’intuition accélérée : L’impatience, c’est souvent l’intuition en action. Elle permet d’aller droit au but sans s’attarder sur des analyses interminables. Steve Jobs[6], persuadé que l’informatique devait être intuitive, a imposé des décisions audacieuses sans attendre le consensus.

– L’authenticité : Être impatient, c’est être entier. C’est refuser de feindre l’indifférence. Charles Bukowski[7] écrivait : « L’attente est une torture. S’attarder trop longtemps sur quelque chose, c’est le tuer. » L’impatience nous pousse à dire maintenant sans détour.

– La créativité : L’impatience empêche la complaisance. Elle force à expérimenter, tester, échouer vite pour mieux recommencer. Thomas Edison[8] l’a bien compris : il a mené plus de 1 000 essais avant de mettre au point l’ampoule électrique.

– La flexibilité : Dans un monde où tout s’accélère, l’impatience est une force d’adaptation. Jeff Bezos et Amazon[9] en sont un exemple : en instaurant la livraison ultra-rapide, l’attente est devenue une contrainte obsolète.

Et si nous changions de regard ?

Plutôt que de voir l’impatience comme un défaut, et si nous la considérions comme un signal ? Celui d’une envie qui brûle, d’un projet qui ne demande qu’à éclore.

Les grandes avancées naissent souvent de ceux qui refusent d’attendre.

Finalement, l’impatience n’est qu’un battement de cœur, un élan. Une force qui, bien canalisée, peut renverser des montagnes.

Car après tout, le temps n’est pas un maître absolu. Il est une matière à sculpter, un espace où l’audace et l’intuition prennent le pas sur l’attente.

Article rédigé par Lucie Lauras


[1] Le driver “Dépêche-toi” est l’un des cinq messages contraignants identifiés en analyse transactionnelle par le psychologue Taibi Kahler. Ce driver incite les individus à agir rapidement, en leur faisant ressentir que toute action doit être accomplie sans délai pour être valorisée. Cette pression à la rapidité peut entraîner du stress, de l’impatience et une tendance à précipiter les tâches, parfois au détriment de la qualité ou du bien-être personnel.

[2] Le contrôle des impulsions est une des quinze compétences de l’intelligence émotionnelle du modèle EQ-i du Dr Reuven Bar-On.

[3] En savoir plus : Marshmallow Test Experiment In Psychology

[4] Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889.

[5] Martin Luther King Jr., Letter from Birmingham Jail, 1963.

[6] Walter Isaacson, Steve Jobs, 2011.

[7] Charles Bukowski, Le Postier, 1971.

[8]  Edmund Morris, Edison, 2019.

[9]  Tim Fernholz, Rocket Billionaires: Elon Musk, Jeff Bezos, and the New Space Race, 2018.

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