Ces émotions qui ont mauvaise réputation : La jalousie

Jan 31, 2025Article

La jalousie, c’est un peu comme vivre dans une série dramatique dont on ne maîtrise pas le scénario. Elle peut nous faire osciller entre victime et bourreau, nous enfermer dans des boucles de pensées obsessionnelles, et peut tout ravager sur son passage. En écrivant ces mots, difficile de ne pas penser à L’Enfer de Claude Chabrol[1], où un homme s’enfonce progressivement dans la paranoïa et l’autodestruction sous l’emprise de la jalousie…

La jalousie c’est Héra, drapée de rancune, déclenchant tempêtes et vengeances sous prétexte d’honneur blessé[2]. C’est Phtonos, le démon de la jalousie dans la mythologie grecque, dont le venin coule dans les veines des dieux et des hommes, attisant rivalités et désastres.[3] Toujours tapi dans l’ombre, il alimente les rancœurs, chuchote aux oreilles des rois et des amants, souffle sur les braises du ressentiment

Soyons honnêtes, nous avons tous ressenti ce frisson amer. Une promotion qui nous échappe, un ami qui réussit mieux que nous, un partenaire trop charmant pour être honnête… La jalousie, c’est le vertige du manque, l’angoisse viscérale de perdre ce que l’on croyait acquis. Il suffit d’un ego qui se sent menacé, d’une insécurité bien enfouie, et elle s’installe comme une invitée indésirable, déterminée à prendre les commandes.

L’empreinte biologique de la Jalousie

Loin d’être un simple caprice, la jalousie est une carte qui dessine nos attachements les plus profonds. Robert Trivers, souligne qu’elle est ancrée en nous depuis l’enfance : elle incarne la peur primale de l’abandon, cette angoisse archaïque de voir l’autre se détourner, nous laissant face à notre solitude existentielle.[4]

Helen Fisher, neuroscientifique, enfonce le clou : la jalousie active les mêmes zones cérébrales que celles qui commandent la survie[5]. Comme si la peur de perdre revenait, à un niveau biologique, à une menace de disparition. En d’autres termes, notre cerveau interprète l’exclusion affective comme une blessure vitale, un danger aussi tangible qu’une privation de nourriture ou d’oxygène.

La Jalousie au Quotidien

Si la jalousie est souvent réduite à la sphère amoureuse, elle s’infiltre en réalité dans tous les aspects de nos vies. Au travail, elle se glisse dans les non-dits entre collègues, dans les promotions qui échappent, dans le sentiment d’injustice face à la réussite d’un autre. Qui n’a jamais ressenti cette pointe de jalousie en voyant un collègue obtenir la reconnaissance que l’on estimait mériter ?

Dans le cercle amical, elle s’insinue dans les comparaisons silencieuses : qui réussit mieux ? Qui est le plus apprécié ? Qui semble avoir une vie plus accomplie ? Les réseaux sociaux exacerbent cette jalousie latente, où chacun met en scène une existence idéalisée, renforçant le sentiment de ne jamais être à la hauteur.

Même dans les familles, la jalousie est une dynamique omniprésente : rivalité entre frères et sœurs, favoritisme perçu, comparaisons implicites[6]. Elle façonne les relations, souvent sous le couvert de l’affection et de la loyauté, mais avec ce fond de tension que l’on tait par peur de paraître mesquin.

Un Prisme Déformant

Mais la jalousie, c’est avant tout une distorsion de la perception, une vision altérée qui ne nous montre jamais la réalité telle qu’elle est, mais comme un reflet biaisé de nos propres insécurités et manques. Elle agit comme un filtre qui projette nos peurs sur le monde extérieur, un miroir déformant où l’ego cherche désespérément une justification à sa propre impuissance. Elle nous fait croire que nous sommes lésés, que le bonheur des autres se construit sur notre propre manque. Elle attise les comparaisons stériles, nous enferme dans une logique de compétition insensée, comme si l’existence était un gâteau aux parts limitées.

Mais n’est-ce pas une bataille perdue d’avance ? Un refus obstiné d’accepter que tout, toujours, nous échappe ?

Nietzsche, dans Par-delà le Bien et le Mal, y voit une déformation grotesque de la volonté de puissance, une spirale où l’on confond désir et domination, possession et plénitude :

« La jalousie appartient à cette morale d’esclave qui fait croire que l’on est propriétaire de ce que l’on aime, alors que tout amour est un pari contre l’impermanence. » (Par-delà le Bien et le Mal, Friedrich Nietzsche)

Sartre, quant à lui nous rappelle dans l’être et le Néant que « La jalousie est ce mensonge que nous nous racontons pour ne pas voir l’évidence : l’Autre ne nous appartient pas. ». La jalousie est une forme de mauvaise foi : une révolte contre notre propre liberté, un mensonge que l’on se raconte pour ne pas voir l’évidence. L’Autre n’est pas un objet à nous, il n’est pas une extension de notre désir, pas plus qu’une étoile ne peut appartenir à celui qui l’admire.

Jean-Pierre Dupuy, dans La Jalousie : Une géométrie du désir, propose une analyse profonde de ce sentiment. Il distingue la jalousie de l’envie en soulignant que la jalousie naît de la souffrance d’être exclu d’un monde que l’on voit se clore sur soi-même. Cette perspective met en lumière la nature intrinsèquement relationnelle de la jalousie, au-delà du simple désir de possession.

Et pourtant, on continue de s’accrocher à nos illusions. On a beau la mépriser, la nier, la juger… Elle revient toujours, telle une publicité agaçante qui s’ouvre au mauvais moment, un pop-up intrusif dans le navigateur de nos émotions.

Mais alors comment s’en Libérer ?

Bonne nouvelle : la jalousie n’est qu’une émotion, et comme toute émotion, elle peut être observée, comprise et transformée en une opportunité de croissance.

Voici quelques pistes pour l’apaiser :

–> L’Accueillir Plutôt que la Nier

Plutôt que de la juger ou de la fuir, mieux vaut la reconnaître. C’est en lui faisant face qu’on en comprend les véritables racines : peur de l’abandon, insécurité professionnelle, sentiment d’injustice ? L’accueillir, c’est déjà commencer à la désamorcer. L’écrire dans un carnet ou en parler à voix haute peut déjà lui faire perdre une partie de son intensité.

–> Revenir à Soi

On ne contrôle ni les autres, ni leurs choix, ni leurs réussites. Ce que nous pouvons maîtriser, c’est notre propre trajectoire. Se recentrer sur ses propres objectifs permet d’arrêter de perdre du temps et de l’énergie à se comparer. Remplacez la comparaison par une évaluation personnelle de vos progrès. Considérez chaque succès, aussi petit soit-il, comme une victoire personnelle.

–> Se Libérer de l’illusion de la perfection

Montaigne nous rappelle que « Sur le plus haut trône du monde, on n’est assis que sur son cul. » L’apparence de la réussite n’est pas la réussite. Derrière chaque succès affiché, il y a des échecs invisibles, des peurs et des failles. Ne vous laissez pas berner par les filtres et les récits enjolivés.

–> L’Exprimer de Manière Constructive

Si vous ressentez une jalousie forte envers quelqu’un, transformez ce sentiment en source d’inspiration. Complimentez cette personne sur ce que vous admirez chez elle et cherchez à apprendre d’elle au lieu de la jalouser en silence.

–> Accepter l’Impermanence

Héraclite l’a bien dit : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » Tout change, rien n’est figé. C’est précisément cette impermanence qui rend chaque moment précieux. Accepter cela, c’est accepter la fluidité et la beauté de la vie.

Et Si On Changeait de Regard ?

Peut-être que la jalousie, loin d’être une malédiction, est une invitation à mieux se connaître. Un signal d’alarme qui nous pousse à explorer nos insécurités, à déconstruire nos illusions et à embrasser la fragilité de notre condition humaine.

Et si, au lieu de chercher à retenir, nous apprenions à contempler ?

Et si, nous nous entrainions à vivre nos pertes comme des opportunités de croissance ou de redirection ?

Finalement, la jalousie n’est peut-être qu’une ombre projetée par nos propres peurs. Et comme toute ombre, elle disparaît dès qu’on choisit de regarder la lumière.

Article rédigé par Lucie Lauras


[1] L’Enfer (film, 1994) — Wikipédia

[2] La jalousie et les vengeances de Héra

[3] Phtonos — Wikipédia

[4] Robert Trivers, Social Evolution

[5] Helen Fisher, Why We Love: The Nature and Chemistry of Romantic Love.

[6] Françoise Dolto, Le Complexe de la Fratrie.

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